Pas de dépistage ni de nouvelle prise en charge des dyslipidémies pour les personnes de plus de 75 ans en prévention primaire.
Données scientifiques en relation avec cette recommandation
Introduction
En principe, les recommandations ne sont pas conçues comme des instructions absolues d'action, mais plutôt comme une base de discussion entre médecin et patient. L'objectif est d'évaluer si l'on peut renoncer à un traitement parce qu'il n'apporte aucun bénéfice ou que les risques associés sont potentiellement plus importants que le bénéfice réel. Dans le sens d'une prise de décision partagée, les préférences individuelles, les priorités et la situation de santé du patient doivent être prises en compte.
Etudes sur les statines en prévention primaire chez les plus de 75 ans
Malheureusement, il n'existe pas de modèles de risque validés concernant le bénéfice d'une nouvelle prescription de statines en prévention primaire chez les personnes de plus de 75 ans, et on ne sait pas vraiment qui, dans ce groupe d'âge, bénéficierait d'une nouvelle prescription de statines avec une indication de prévention primaire (1). Les résultats de la méta-analyse CTTC (2), malgré leurs limites, représentent actuellement les meilleures preuves de la prévention primaire par les statines chez les personnes âgées et ne montrent aucune réduction significative de la morbidité cardiovasculaire dans ce groupe d'âge (3). Le bénéfice de la réduction du LDL par les statines dans ce groupe d'âge, avec sa prévalence élevée de multimorbidité (4), de polymédication (5), de fragilité (6) et d'altération des fonctions et de la cognition, doit donc d'abord être prouvé empiriquement et directement. Les études d'observation rétrospectives non contrôlées publiées précédemment ont été menées dans des populations particulières (anciens combattants américains de genre masculin) (7), sont fondées sur des bases de données rétrospectives plutôt que prospectives (7, 8), comportent un risque de biais de confusion (7, 8), ne signalent pas les effets secondaires (7, 8) ou montrent une faible réduction de la mortalité cardiovasculaire et de la mortalité toutes causes confondues (NNT de 164 et 306, respectivement, sur 7 ans), mais uniquement dans le sous-groupe des personnes âgées "plus jeunes" atteintes de diabète sucré (8).
Les données prospectives issues d'analyses de sous-groupes d'essais randomisés chez les patients de ≥70 ans sont contradictoires (petite réduction statistiquement significative des résultats cardiovasculaires dans l'essai JUPITER contre aucune réduction statistiquement significative dans les essais HOPE-3 et PROSPER) (9, 10), bien que là encore les effets secondaires dans ce groupe d'âge n'aient pas été spécifiquement abordés. Selon une analyse post-hoc, dans le bras lipides de l'essai ALLHAT, il y avait au moins une tendance à l'augmentation de la mortalité toutes causes confondues (HR 1,34, IC 95 % 0,98-1,84 ; P=0,07) chez les personnes âgées de ≥75 ans dans le groupe pravastatine (40mg) par rapport au groupe sans statine, sans différence significative concernant les événements coronariens (11).
L'U.S. Preventive Services Task Force (USPSTF) (12) n'a jusqu'à présent pas formulé de recommandation favorable à un traitement préventif primaire par statine chez les personnes âgées de plus de 75 ans en raison de preuves insuffisantes («evidence is lacking, of poor quality, or conflicting, and the balance of risk and harm cannot be determined») (12).
Effets secondaires musculo-squelettiques induits par les statines
L'incidence des effets indésirables musculo-squelettiques induits par les statines est mal définie (13, 14). Les raisons en sont la présentation clinique hétérogène (myalgie, myopathie, rhabdomyolyse, myosite), l'incohérence des définitions, le manque de puissance des essais randomisés pour les résultats peu fréquents et le risque de confusion dans les études observationnelles (13). Dans l'ensemble, les essais randomisés montrent une faible incidence d'effets indésirables musculaires graves liés aux statines (14). Cependant, des preuves limitées suggèrent que l'utilisation de statines est associée à un risque au moins légèrement accru d'effets secondaires musculo-squelettiques par rapport à la non-utilisation (13, 15, 16). Dans l'ensemble, les douleurs musculo-squelettiques associées aux statines semblent se produire dans environ 1,5 à 3,0 % des cas dans les essais randomisés, et dans jusqu'à 10 % des sujets traités dans les études d'observation où la sélection des patients est moindre (17). C'est la raison la plus fréquente de l'arrêt du traitement par statine (18). Bien qu'il n'ait pas été établi de façon concluante que les patients âgés traités par statines présentent une incidence plus élevée d'effets indésirables musculaires que les patients plus jeunes (19, 20), on peut raisonnablement craindre que les personnes âgées sous polymédication et souffrant de dysfonctionnement rénal ou hépatique présentent un risque plus élevé d'interactions médicamenteuses et de toxicité musculaire induite par les statines (en particulier la rhabdomyolyse, rare mais potentiellement grave) (14, 15). La myalgie/faiblesse musculaire est également particulièrement problématique chez les personnes âgées, car elle peut contribuer à un déconditionnement et à une fragilité accrue, avec une diminution de la qualité de vie et de l'état fonctionnel, et une augmentation du risque de chutes et d'invalidité (21).
Avantages et risques
En particulier dans le cadre de la prévention primaire, c'est-à-dire le traitement de personnes asymptomatiques, dans ce cas même âgées et vulnérables, il est important que le bénéfice et le risque d'un traitement soient dans un rapport favorable l'un par rapport à l'autre. Bien que cette preuve de la prévention primaire par les statines n'ait pas encore été apportée en raison de l'absence d'essais randomisés contrôlés contre placebo chez les personnes de plus de 75 ans, le fait qu'aux États-Unis, l'utilisation des statines en prévention primaire a triplé chez les personnes de ≥80 ans entre 1999-2000 et 2011-2012, passant de 8,8% à 34,1%, donne à réfléchir (les données suisses sur la prévention primaire ne sont, à notre connaissance, pas disponibles à ce sujet) (22). C'est pourquoi, dans ses recommandations en lien avec la smarter medicine, la SGAIM déconseille pour l'instant un nouveau traitement par statine chez les personnes de plus de 75 ans en prévention primaire (23).
Conclusion
Ainsi, en raison de leur bénéfice non prouvé à partir de 75 ans et des effets secondaires possibles, la SSMIG recommande de renoncer à débuter un traitement avec des statines et donc à mesurer les lipides dans le sang pour les seniors de plus de 75 ans sans maladies cardio-vasculaires. Le choix d’appliquer cette recommandation ou pas peut être partagé entre le médecin et le patient, en fonction notamment de ses comorbidités. Il est important de souligner que ces recommandations ne concernent pas la prescription de statines en prévention secondaire qui font tout leur sens, y compris au-dessus de 75 ans.
RÉFÉRENCES
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23. Trägerschaft “smarter medicine - Choosing Wisely Switzerland”. “smarter medicine”: weitere Top-5-Liste für die ambulante Allgemeine Innere Medizin. Schweizerische Ärztezeitung. 2021;102:572-3.